mardi 26 février 2013

La Maman du Magicien recommande… des apps iPad


J’ai reçu un iPad peu après la naissance du Petit Magicien (merci mon Amour) et je ne le regrette pas, pour toutes sortes de raisons.

Mais le gredin grandissant, l’iPad est devenu l’objet de sa convoitise. Après moultes hésitations j’ai accepté l’idée que cet écran était, de tous, le moins passif et pouvait même s’avérer un support d’enseignement intéressant.

Je suis donc partie en quête d’applications qui plaisent à la fois au Petit Magicien… et à moi.
Ses critères se bornent à un seul, je pense : s’amuser.
Les miens sont multiples : esthétiques, didactiques et échappant autant que possible aux clichés de genre. Mon Magicien est un garçon, direz-vous. Raison de plus pour commencer tôt à lui expliquer que les filles peuvent être autre chose que des princesses nunuches attendant qu’on les sauve, et que les mamans ne font pas la cuisine pendant que les papas lisent le journal (sur ce dernier point, pas de problème, c’est généralement le Papa du Magicien qui cuisine). N’empêche que c’est un tel critère qui m’a fait quitter, ulcérée, la version iPad des Trois Petits Cochons.

Passer de l'été à l'automne…
Repérer l'écureuil, le cerf, la chouette et les autres…

Pour me faire pardonner de Gallimard Jeunesse dont j'apprécie beaucoup l'offre numérique, je commence donc mes critiques (positives) par une autre de leurs apps : La forêt.

Il s’agit d’une adaptation de leur très bonne collection papier « Mes premières découvertes ».

L’app a été conçue en partenariat avec l’Office National desForêts et cela se sent.
Couper des arbres… mais seulement ceux qui sont marqués par les forestiers !


 On y trouve des informations sur les différents types de forêts (tropicale, australe… mais aussi forêt de conifères et de feuillus), sur  la faune et la flore de nos forêts tempérées, sur les champignons (vénéneux ou pas), mais aussi sur le rôle des forestiers, sur l’importance des forêts pour protéger des avalanches ou de l’érosion…

Le tout dans un langage simple et clair, avec de belles illustrations et des animations variées et pertinentes : apprivoiser le cycle des saisons en frottant les feuilles des arbres pour les faire jaunir ou tomber ; découvrir les animaux grâce à un jeu de cache-cache ; reconnaître les baies et champignons comestibles par un glisser-déposer dans un panier ; et même provoquer une avalanche d’un seul doigt (pour voir comment la forêt peut l’arrêter).

Cette app est facile d’accès pour les jeunes enfants (par exemple, le jeu de découverte des animaux est facilité par les feuilles qui bougent, révélant où se cache un animal) et son contenu est assez intéressant pour des enfants un peu plus âgé.
Le texte est à la fois écrit et lu à haute voix.
 Prix : iPad 3,99 €, iPhone 2,99€

Le Petit Magicien préfère : trouver les animaux et entendre leur cri ; couper un arbre avec la tronçonneuse puis replanter de jeunes pousses.
La Maman du Magicien aime : tout !

Dans la même collection, Gallimard Jeunesse propose La coccinelle (très bien aussi) et Dinosaure (pas encore testé sur mon Petit Magicien un brin trop jeune, mais je ne tarderai pas).
J'espère de nombreuses autres Premières Découvertes sur iPad dans les mois à venir !

lundi 25 février 2013

Histoires du soir : la série des Cacas Magiques (1)

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Bien sûr tout est né d’un merveilleux roman de Terry Pratchett, Snuff (Coup de tabac en VF). Ou plutôt d’un roman dans un roman, car Snuff met en scène un délicieux et insolite personnage d’auteur de romans pour enfants à grand succès, Miss Felicity Beedle. Miss Beedle est un personnage extraordinaire à bien des égards mais ses romans le sont aussi : elle n’hésite pas à parler aux enfants de choses qui les intéressent vraiment. Comme le caca. Attention, elle ne le fait pas avec vulgarité ni démagogie, pas du tout. elle en parle sobrement, drôlement, intelligemment, parfois même scientifiquement. Les parents aussi peuvent y apprendre beaucoup, s’ils daignent s’y plonger sans trop plisser le nez.
Pour poursuivre la mise en abyme, on peut lire dans notre monde l’un des adorables et admirables livres de Miss Beedle, explicitement intitulé TheWorld of Poo.

Et croyez-moi, l’humour pipi-caca, s’il commence à amuser le Petit Magicien (et parfois son Papa) ne me fait pas rire. Pas un brin. Ce n’est pas du tout de l’humour pipi-caca.

Je me suis donc lancée dans ma propre série « à la Beedle » des Aventures du Petit Magicien.

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1.  Le Caca de Gargouille

« La semaine prochaine, annonça la maîtresse aux petites magiciennes et petits magiciens, nous aurons la chance de rencontrer un alchimiste. »
Vous seriez sans doute passionnés à cette perspective, mais la classe ne marqua guère de réaction. A vrai dire, personne ne savait vraiment ce qu’était un alchimiste, pas même Matilda — qui savait presque tout — ni Adalbert — qui aimait se vanter.
La maîtresse ne fut pas vexée. Si les maîtresses se vexaient dès qu’elles n’obtiennent pas l’effet prévu, leur métier serait très triste, car à vrai dire de petits enfants de trois ans ne réagissent jamais de la façon prévue, magiciens ou pas.
« Un alchimiste, expliqua-t-elle, est un magicien très particulier. Il réalise des expériences…
— Comme les scientifiques ? » demanda Tom. Tous les petits magiciens vont aussi à l’école de Tout-le-Monde, ne l’oubliez pas. Ils savent donc très bien ce qu’est un scientifique. Ou du moins aussi bien qu’on peut le savoir à trois ans, quand on habite tout près d’un des plus grands centres de recherches scientifiques du monde.
— Exactement comme un scientifique, dit la maîtresse. Son matériel ressemble beaucoup à celui d’un chimiste. Il s’intéresse à la nature profonde des choses et aussi à la métamorphose. »
La métamorphose, voilà qui suscita de l’intérêt. C’est une des branches les plus spectaculaires de la magie.
« Il va nous transformer ? En quoi ?
— Certainement pas, dit fermement la maîtresse. Que diraient vos parents si je leur ramenais des petits cochons à votre place ? Non non non. Pour cette fois, pas de métamorphose, nous nous contenterons d’élucider le secret de la matière. Chacun de vous devra apporter une substance inconnue, ou difficile à identifier, pour que l’alchimiste vous montre comment il peut révéler sa véritable nature. »

Quentin le Petit Magicien rentra chez lui perplexe. Que pourrait-il bien apporter à l’alchimiste ? Sur le chemin de la maison, son pied heurta un petit caillou et il le ramassa machinalement. Il aurait pu le mettre dans sa poche et le retrouver au dernier moment en présence de l’Alchimiste, cela raccourcirait mon histoire, mais les choses ne se passèrent pas ainsi.
Quentin aimait bien les cailloux et examina celui-ci avec attention. Sa pierre sombre, presque noire, était parcourue de veines brillantes, comme du quartz. Mais le plus étrange est qu’il était rond, vraiment rond, tout à fait rond, comme une bille. Quentin, très intéressé, le rangea soigneusement et se hâta de le montrer à ses parents en rentrant.
 Ses parents aussi aimaient beaucoup les cailloux — les magiciens, voyez-vous, continuent de s’intéresser à beaucoup de sujets dont les autres grandes personnes se détournent. Sa Maman prit le caillou, le fit tourner entre ses doigts, puis secoua la tête : « Non, vraiment, je ne vois pas. » et le passa à son Papa. Celui-ci l’examina sous toutes les coutures — c’est une façon de parler, bien entendu, ce caillou était suffisamment bizarre sans avoir de coutures — et lui aussi s’avoua vaincu :
« C’est très étrange, Quentin. Ce n’est pas un caillou, de cela je suis sûr, mais je ne vois pas du tout ce que cela peut être. »
Le Petit Magicien n’en revenait pas.
Il posa le drôle de caillou sur sa commode — c’était embêtant de ne pas savoir comment l’appeler — et le regardait chaque soir. Il ne changeait pas, ni ne révélait son secret.

La semaine suivante, Quentin plaça la mystérieuse bille tout au fond de sa poche avant de partir à l’Ecole des Petits Magiciens. Tous les autres élèves transportaient des paquets dans des sacs. Thaddeus portait même un gros carton à plat sur ses deux mains. Quentin se sentait un peu ridicule avec sa toute petite bille. Il n’osa la montrer à personne.
L’entrée dans le laboratoire de l’Alchimiste était très impressionnante, et les réactions des enfants furent à la hauteur des attentes de leur maîtresse. Des Oh ! — un alambic[1] — des Ah ! — une cornue[2] — des Ouh ! c’est chaud ! — l’athanor[3] — et quelques discrets Pouark ! ça sent pas bon ! — l’inévitable odeur de soufre[4].
L’Alchimiste lui-même était un monsieur tout mince et moustachu, portant lunettes, qui n’était pas du tout vêtu d’une robe de sorcier. Il leur expliqua tout de suite pourquoi :
« Les larges manches ne sont pas du tout pratiques pour réaliser des expériences. Elles sont même assez dangereuses : elles peuvent tremper dans des acides, prendre feu, ou renverser un précieux ingrédient. Tous les alchimistes qui s’obstinaient à porter de larges robes ont connu une fin prématurée. »
La moitié des enfants, apeurés, remontèrent soigneusement leurs manches.
Ils observaient avec un peu d’angoisse les fumées colorés, liquides scintillants et autres tuyaux glougloutants.
« Allons-y ! dit l’Alchimiste avec bonne humeur. que m’avez-vous apporté ? Des défis, j’espère ! »
Adalbert avait apporté une potion très compliquée réalisée avec l’aide de sa maman. En deux temps trois distillations, l’Alchimiste en dissocia les ingrédients et fut à même de révéler qu’il s’agissait d’une Potion de Javababil. Celui qui en buvait se mettait instantanément à babiller en javanais[5] pendant une heure.
Cassandre tendit timidement un long cheveu, qui intéressa l’Alchimiste beaucoup plus que la potion d’Adalbert. Il dut passer un long moment à l’observer à travers des lentilles plus grosses les unes que les autres, jusqu’à ce que le cheveu ressemble à un tronc de palmier et que l’Alchimiste s’écrie, victorieux : « Un cheveu de sirène ! »
Thaddeus finit par déposer son gros carton devant l’Alchimiste, et que contenait-il ? Un énorme gâteau. Quelques élèves ricanèrent mais la maîtresse les reprit sévèrement : « Vous avez tort de vous moquer. La cuisine, et la pâtisserie en particulier, est un art magique très proche de l’alchimie. » Quentin n’en revenait pas. Il aimait bien faire des gâteaux avec sa Maman et n’avait jamais pensé qu’il puisse s’agir de magie.
L’Alchimiste eu tôt fait de reconstituer la recette complète du gâteau et de la faire apparaître sur un parchemin, avec tous les ingrédients et temps de cuisson. « Le plus magique des gâteaux ! s’exclama-t-il. La Forêt Noire ! Seules les plus grandes sorcières savent le réaliser parfaitement. »
Tout le monde regarda Thaddeus avec admiration — et peut-être un peu d’inquiétude.
Finalement, Quentin se décida à sortir le caillou de sa poche et le tendit à l’Alchimiste.
Celui-ci s’en saisit, fronça les sourcils, l’approcha de son nez, et s’écria : « Merveilleux ! Je n’ai pas la moindre idée de ce dont il s’agit ! Mais la décomposition alchimique pourra nous le dire ! »
Et aussitôt, il s’employa à installer un grand circuit de tuyaux, cornues et alambics qui occupait la moitié du laboratoire. Tout ça pour son caillou ! Quentin était très impressionné. Enfin, l’Alchimiste poussa un grand cri de joie.
« Incroyable ! Inimaginable ! Quelle découverte ! »
De quoi s’agissait-il ? Tous les petits magiciens retenaient leur souffle.
« … un excrément de Gargouille ! »
Excrément signifie « caca », si vous ne le saviez pas. Les grandes personnes préfèrent éviter d’utiliser le mot caca, je ne sais pas trop pourquoi. Sauf bien entendu, les papas et les mamans. Il faut croire que devenir papa ou maman vous rend beaucoup plus intelligent, contrairement aux idées reçues.
« Du caca de gargouille ? traduisit donc Quentin. Et c’est très rare ?
— Si c’est rare ! C’est exceptionnel ! Les gargouilles adultes mangent très peu et produisent très peu de déjection. A peu près une crotte de cette taille tous les dix ans ! »

L’Alchimiste était ravi de cette trouvaille, mais Quentin le Petit Magicien l’était moins. Bien sûr, il était très content que le caillou — pardon, le caca — soit identifié. Et encore plus content qu’il s’agisse d’un caca rare et magique. Mais voyez-vous, la décomposition alchimique l’avait réduit à l’état de quelques grains de poudre, et Quentin ne pouvait pas récupérer son caillou. Il rentra donc chez lui un peu déçu et raconta toute l’histoire à son Papa et sa Maman.
« C’est une belle découverte, mon Quentin, dit sa Maman.
— Mais je ne l’ai plus, mon Caca de Gargouille ! J’aurais pu commencer une collection ! »
Hum : son Papa et sa Maman se regardèrent.
« Il ne nous reste qu’à en trouver un autre.
— Mais comment ? C’est très, très rare ! Les gargouilles ne font caca que tous les dix ans. Je n’ai pas envie d’attendre dix ans pour commencer la collection.
— La première chose à faire est de rencontrer une Gargouille. Le meilleur endroit pour ça est Paris, bien sûr, ou Prague, mais à défaut nous nous contenterons de Genève. »

Aussitôt dit, aussitôt fait — ou presque, car il fallut attendre le samedi pour que Quentin le Petit Magicien et ses parents se rendent à Genève en quête d’une Gargouille. Contrairement à ce qu’on pourrait croire pour une ville dont le nom commence par un G, comme tout bon nom de Gargouille, Genève la protestante est bien pauvre en gargouilles. Quentin désespérait quand ses parents eurent l’idée de visiter Yvoire, un petit village médiéval sur les bords du Lac Léman, habité par de nombreux sorciers et, à n’en pas douter, quelques gargouilles. Victoire ! Dans le Jardin des Cinq Sens, un des hauts lieux magiques d’Yvoire, ils rencontrèrent une charmante et discrète petite gargouille, au frais près d’une fontaine.
Quentin, ravi, s’accroupit près de la petite créature de pierre pour lui parler :
« Bonjour Madame la Gargouille !
— Je suis un Monsieur Gargouille » grogna-t-elle. La négociation commençait bien ! Heureusement, la petite gargouille fut très flattée par l’intérêt de Quentin pour leur espèce et ne tarda pas à lui révéler son secret en gloussant : « Des cacas ? Oh oui ! Nous en faisons peu mais nous amusons beaucoup avec. Dès que nous en avons un, nous profitons de la nuit pour aller le poser quelque part. Nous aimons bien les mettre en pleine vue, là où les humains nigauds les confondent avec des pierres. Une bonne partie des jolies sculptures des façades gothiques sont en fait constituées de crottes de gargouilles ! »
Quentin trouvait l’idée très amusante.
« Mais vous, dit-il, vous n’habitez pas dans une église. Où posez-vous vos crottes ?
— J’en fais une jolie bordure pour le sentier ! rit la petite gargouille. Si je reste encore ici quelques siècles, je pourrai faire toute la longueur. »
Et en effet, Quentin voyait maintenant que la bordure du sentier était constituée pour partie de petites boules de pierre, bien rondes et bien dures.
« Super ! se réjouit-il. Est-ce que vous m’en laisseriez une, s’il vous plaît ? Pour ma collection. J’y mettrai les cacas des créatures les plus magiques du monde ! »

La gargouille, tout à fait amadouée par ce superlatif, lui céda une de ses déjections[6] et Quentin la rapporta fièrement chez lui.
Son Papa lui fabriqua une grosse boîte à nombreux tiroirs, tous imperméabilisés, et sa Maman colla sur chaque tiroir une belle étiquette. Sur la première, Quentin le Petit Magicien inscrivit soigneusement « Caca de Gargouille, Yvoire » avec la date du jour, et y déposa son premier spécimen.
Ainsi commença la grande collection des Cacas Magiques.


A suivre : Episode 2, le Caca de Licorne…


[1] un ballon, mais en verre creux, d’où partent plusieurs cols. Les plus simples ressemblent à une bouteille toute ronde. Ce n’est pas très pratique à poser.
[2] un vase étroit, long et… cornu
[3] le four, tout simplement — mais les alchimistes ont sûrement une bonne raison de lui donner un nom si compliqué. (*)
* La raison est très simple, comme souvent. Le premier grand alchimiste était arabe, et quand il prononçait le mot arabe pour « four », al-tannur, ses élèves entendaient « athanor » et copiaient bêtement sans demander ce que cela voulait dire. J’espère que vous êtes plus malins et ne copiez pas des mots sans les comprendre.
[4] en fait, c’est le sulfure d'hydrogène qui sent les œufs pourris, mais les petits magiciens n’étaient pas assez grands pour faire la différence
[5] et, accessoirement, de parler aux ordinateurs. Mais l’Alchimiste était de la vieille école, et son laboratoire ne comportait pas d’ordinateurs.
[6] Quand on entame une collection de Cacas, on est bien obligé de commencer aussi une collection de synonymes pour ce mot. En voici quelques-uns, mais attention, ils ne sont pas tous très polis : excrément, besoins, crotte, défécation, déjection, excrétion, selles, étron, bouse, fiente, guano et même colombine…

mercredi 20 février 2013

Histoires du Soir : Mais Où Est Donc Ornicar ?

Ce n'est pas l'histoire que j'avais prévu de poster en premier. Je comptais relater d'abord ma grande série d'Histoires de Cacas, hommage à Terry Pratchett. J'espère bien avoir le temps de le faire dans les semaines à venir.
Mais ce matin, c'est ma première vraie demi-journée de congé depuis… longtemps, très longtemps, je ne sais même plus combien de temps. J'en ai donc profité pour écrire l'histoire racontée hier soir.
Je plaide coupable, mais tiens à souligner que c'est ma première histoire de "prof de français" !


Quentin le Petit Magicien à la recherche d’Ornicar


Ce jour-là, la maîtresse de Quentin leur avait confié une Quête. Non pas la maîtresse qui leur enseignait la magie, non, l’autre maîtresse, celle de l’école de tous les jours, celle qui enseignant à tous les enfants, magiciens ou pas.
Elle avait écrit en gros sur le tableau :
« Pour demain : résoudre l’énigme et trouver Ornicar ».
Les élèves s’étaient exclamés : « Ornicar ! Quelle drôle de nom ! Qui c’est, Ornicar ? On doit le chercher où ? »
La maîtresse s’était retournée vers eux en souriant (et sans corriger leurs fautes de grammaire, justement, car c’était une bonne partie de la quête) et leur avait dit :
« Pour le savoir, il vous faudra résoudre l’énigme. Elle tient en une seule phrase qui contient tous les indices. Attention, il faudra bien la retenir. Êtes-vous prêts ?
— Oui, maîtresse !
— Attention, voilà la phrase. Mais où est donc Ornicar ? »
La phrase était facile : « Mais où est donc Ornicar ? » répétèrent les enfants en cœur.
Mais Quentin avait bien reconnu le ton employé par la maîtresse pour la prononcer : celui des formules magiques. Il n’en revenait pas : cette maîtresse-là s’y connaissait aussi en magie ?

Il rentra donc chez lui tout excité et bien décidé à résoudre l’énigme et trouver Ornicar. A vrai dire, ce nom lui disait quelque chose. Il était presque sûr de l’avoir déjà entendu quelque part. Dans un livre, sans doute. Il se dirigea donc sans attendre vers la bibliothèque de sa Maman.
Il trouva un Ottokar, dont le sceptre avait disparu ; un Amilcar, général d’une armée d’éléphants ; un Ornithorynque jamais content de son sort — mais d’Ornicar, point.

A ce moment-là, il entendit sa Maman descendre l’escalier. Elle avait fini de travailler ! Il se précipita vers elle : « Mamanmaman ! Où est Ornicar ? »
Sa Maman sourit et le souleva dans ses bras : « Tu as oublié deux mots, mon loupiot : Mais où est donc Ornicar ?
— Ahah ! triompha Quentin. Alors j’avais raison, c’est bien une formule magique ! Et tu la connais ! »
Sa Maman le posa sur le canapé et s’assit près de lui.
« Oui, mon Pixie. Où as-tu cherché Ornicar, pour l’instant ?
— Dans les livres ! Et… » Quentin se prenait au jeu : il adorait le cache-cache. « Sous l’escalier ! Dans les feuilles ! Dans la cuisine ! Dans le ciel ! Mais je ne l’ai pas trouvé.
— Pourtant tu as commencé à résoudre l’énigme, lui dit sa Maman. La maîtresse ne vous a-t-elle pas dit que tous les indices se trouvaient dans la phrase magique ?
— Si, dit Quentin. Mais je n’ai pas compris.
— Pourtant tu connais bien le premier indice, tu viens même de l’utiliser deux fois. » sourit sa Maman.
Ça alors ! Quentin n’en revenait pas ! Comment donc trouvait-il des indices sans s’en apercevoir ?
« Ecoute bien, mon Lutin, lui dit sa Maman. Cette phrase magique est composée de syllabes. Il y en a sept. Toutes sont importantes.
Les syllabes, ce sont des gros monstres poilus ? » demanda Quentin. Il aimait bien les gros monstres poilus.
« Ma foi, pourquoi pas ? Je les imaginais plutôt comme de petites créatures multicolores, mais tu as peut-être raison[1], dit sa Maman. Ecoute les bien : Mais - où - est - donc - Or - ni - car. 
— Mais - où - est - donc - Or - ni - car ! répéta Quentin.
— Chaque syllabe est un indice. Chacune est une énigme à résoudre. A la fin, nopus trouverons Ornicar. »
Sa Maman débarrassa soigneusement la table et y posa un grand papier de protection, comme chaque fois qu’ils s’apprêtaient à faire de la magie (ou de la peinture).
« Commençons par le premier indice : MAIS.
— Mais ! cria Quentin. Mais ça ne veut rien dire !
— Mais si, sourit Maman. Nous n’arrêtons pas de l’utiliser. »
A vrai dire, Quentin le Petit Magicien utilisait très souvent le Mais. Chaque fois qu’il n’était pas d’accord, ce qui arrivait une centaine de fois par jour.
« Mais, fit remarquer Quentin, c’est aussi le cri de la chèvre : Mêêêêê !
— Bonne idée, dit sa Maman. Va chercher une chèvre dans ta ferme : ce sera notre premier ingrédient. »

Quentin se précipita, extirpa l’animal de sa ferme en bois et le posa fièrement sur la table, au milieu du papier.
« Bravo, dit sa Maman. Et maintenant, le deuxième indice, la deuxième syllabe : OU.
— Où, c’est facile, dit Quentin, sauf que je ne trouve pas où il est, Ornicar.
— Ahah, dit sa maman. C’est vrai, mais il y a d’autres OU.
— Le loup ! cria Quentin. Wouououou !
— Bravo, applaudit Maman. Mais il y a encore un autre OU.
— Le OU du hibou, proposa le Petit Magicien. Hou-hou !
— Très bien ! Mais il y en a encore un. »
Quentin réfléchit très fort.
«  Le OU du fantôme ! Houhouhouohou…
— Que tu es malin, rit Maman, je n’y avais pas pensé. Il y a aussi le OU qui te laisse le choix. Comme ceci : veux-tu un petit beurre ou une madeleine ?
— Les deux ! » cria Quentin qui commençait à avoir faim. Mais il avait compris. Et pendant que sa maman préparait le goûter, il la suivit en répétant des OU : « Demain, je vais à l’école ou je reste à la maison ? C’est Papa qui m’amènera à l’école, ou Maman ? Tu préfères les loups ou les hibous ? »
Et après avoir mangé, il eut une très bonne idée : « Maman, comme deuxième ingrédient, je vais mettre un loup et un hibou. Comme ça, la magie pourra choisir.
— Le Wouououou du loup ou le Hou-hou du hibou, compléta sa Maman. C’est très bien ! »
Quentin courut chercher un domino avec des images de loups (il y en avait deux, mais ce n’était pas grave, ça ferait un Ou de plus) et un petit hibou oublié en rangeant les décorations de Noël. Il les posa sur la table près de la chèvre.

« Le troisième indice ! réclama-t-il.
— Mais où est donc Ornicar ? répéta sa Maman. Est.
— Est, et, hé… C’est difficile. Qu’est-ce que c’est, est ?
— Hé bien, expliqua sa Maman, c’est le verbe être…
— Le verbe être ! » répéta Quentin fièrement. Mais il n’était guère plus avancé. Le verbe être, c’est dans Je suis un magicien, dans Ils sont bien embêtés, dans C’était difficile, et il se transforme toujours, on n’arrive pas à l’entendre, encore moins à l’attraper.
« Heureusement, dit Maman, c’est un autre ET qui nous intéresse ici. Le ET pour ajouter. Par exemple, ceci : Quentin aime les pâtes et le chocolat ; Je mange du pain et du miel ; J’aime Quentin et Papa.
— C’est facile, se réjouit le Petit Magicien. Je veux un petit beurre et une madeleine !
— Tu les as déjà engloutis tous les deux » fit remarquer sa Maman.
Mais comment trouver un ET à poser sur la table[2] ? Quentin eut une autre très bonne idée : « Maman ! Le ET, c’est pour ajouter. Alors je vais prendre le + en aimant de mon tableau, parce qu’un + c’est aussi pour ajouter ! »
Et il posa le petit aimant en forme de + sur la table, près de la chèvre, du loup et du hibou.

« Quatrième syllabe !
— DONC. Ça, c’est difficile, admit sa Maman.
Donc, donc, doncques », répéta Quentin. Mais il ne trouvait rien.
« C’est de la magie un peu plus avancée, s’excusa sa Maman. Je vais essayer de t’expliquer. Donc, c’est un mot qu’on utilise pour réfléchir.
— Pour réfléchir très fort ? Comme Sherlock Holmes ?
— Exactement comme Sherlock Holmes, c’est une très bonne idée. Les détectives utilisent beaucoup la magie du DONC pour leurs enquêtes. Je vois deux séries d’empreintes dans la neige, donc deux personnes sont passées par là. Il n’y a pas d’empreintes qui vont dans l’autre sens, donc ils sont ressortis par un autre chemin.
— Ou ils ne sont pas ressortis du tout et ils sont toujours dans la maison ! dit Quentin.
— Bravo, dit sa Maman, tu sais utiliser la magie du DONC, celle du OU et celle du ET, maintenant. Tu vas devenir un grand détective.
— Elles sont à Ornicar, ces empreintes ? demanda le Petit Magicien.
— Je ne crois pas, dit Maman, elles sont trop grandes pour Ornicar.
— Donc Ornicar est petit ?
— Oui ! Tu as réussi ! »
Quentin alla chercher une image de Sherlock Holmes, avec sa pipe et son chapeau, et la posa sur la table avec la chèvre, le loup, le hibou et le plus.

« Cinquième indice, s’exclama-t-il tout excité. Mais où est donc… Maman ! Ça y est ! On arrive à Ornicar ! On va le trouver !
— En effet, nous approchons. Mais souviens-toi des syllabes.
— Les monstres poilus !
— Ce sont des monstres gentils, tu sais. Alors, quelle est la cinquième syllabe ?
— Or-ni-car… C’est Or ! Or, c’est facile, c’est le trésor des pirates! C’est un mot drôlement bien, un qu’on trouve dans les histoires.
— C’est vrai, mon Quentin, on le trouve dans les histoires. Mais il ne s’agit pas toujours de pièces d’or. C’est aussi un drôle de petit mot qui permet de faire arriver quelque chose. Dans un conte, par exemple.
— Comme Il était une fois ?
— Un peu. Par exemple, écoute : Il était une fois un roi et une reine très intelligents et très gentils, très aimés de leur peuple, qui se désolaient de n’avoir pas d’enfant. Or, un jour, la reine mit au monde une belle petite fille…
— Je connais cette histoire, dit Quentin, c’est la Belle au Bois Dormant ! »
OR était décidément un mot très sympathique, un mot à histoires. Le Petit Magicien alla chercher son unique pièce d’or, celle qu’il avait dérobée au terrible Barbe-Noire dans une autre aventure. Il la déposa sur la table, près de la chèvre, du loup, du hibou, du plus et de Sherlock Holmes.

« Sixième indice… Orni… C’est NI ! Euh… réfléchit Quentin. Nid comme la maison des oiseaux ?
­— C’est vrai, mon Ogrelet. Mais NI est aussi un petit mot magique comme toutes les autres syllabes. Il sert à dire deux fois Non. Par exemple : aimes-tu les salsifis ?
— Non, beurk !
— Et les betteraves ?
— Non alors ! » Quentin avait beau être un petit magicien, il avait les mêmes goûts que tous les petits garçons du monde — disons d’Europe — et préférait nettement les gâteaux aux légumes. Mais cette fois sa Maman ne soupira pas, non, cette fois ils faisaient de la magie et c’était une affaire sérieuse.
« Tu n’aimes donc ni les salsifis ni les betteraves. Et souvent, le soir, tu ne veux ni te laver les dents, ni te mettre en pyjama…
— Ni me mettre au lit ! Ni faire dodo ! compléta Quentin.
— Tu as compris. » dit sa Maman. Et cette fois, tout de même, elle soupira.
Quentin était ravi d’une magie aussi facile. Mais il réfléchit un peu et ajouta : « Ce n’est pas un mot très sage, alors, le NI ?
— En effet », confirma sa Maman.
Quentin prit une belle feuille de papier, ses feutres, et s’appliqua pour dessiner un nid de brindilles avec un petit oiseau pas très sage qui ouvrait grand son bec en hurlant.
« Et voilà le NI ! »
Il posa le dessin avec la chèvre, le loup, le hibou, le plus, Sherlock Holmes et la pièce d’or.

« Il reste CAR ! Je sais ce qu’est c’est, c’est comme un bus (Quentin aimait beaucoup les bus.)
— C’est vrai, dit sa Maman. Et sais-tu ce que veut dire car en anglais ? »
Les parents de Quentin, comme la plupart des Magiciens, connaissent toutes sortes de langues bizarres.
« Non, dit le petit garçon.
— En anglais, car veut dire « voiture ».
— Ça alors ! Et comment disent-ils  pour parler d’un car ?
— Ils disent bus.
— C’est vraiment bizarre !
— C’est une autre magie des mots, mon Crapaud. »
Quentin protesta : il n’était pas un crapaud. Mais il avait tout de même une bonne idée :
« Je vais prendre une petite voiture et lui mettre le drapeau anglais. Ce sera une voiture anglaise, un CAR ! … Mais tu veux bien m’aider à dessiner le drapeau ? »
Sa Maman l’aida, bien entendu. Le drapeau anglais est très difficile à dessiner correctement. Mais tout en dessinant, elle continua à lui expliquer : « CAR a aussi un autre sens. C’est un mot pour réfléchir, comme le DONC. Ecoute : Je dois me couvrir pour sortir car il fait très froid. Je dois me coucher car il est l’heure de la sieste.
— Sherlock Holmes ne fait pas la sieste, Maman ! Mais j’ai compris, c’est comme parce que.
Je sais que les chiens sont passés dans la neige car je vois la trace du traîneau. Je sais que c’est une chimère car elle a une tête du lion et une queue de serpent[3].
— Bravo, mon héros. »
Quentin préférait être un héros qu’un crapaud.
Il posa la voiture anglaise près près de la chèvre, du loup, du hibou, du plus, de Sherlock Holmes, de la pièce d’or et du dessin.

« Tous les indices sont réunis ! Maintenant, nous allons trouver Ornicar, annonça Maman en sortant sa baguette magique. Il faut répéter la formule avec moi.
— Mais : la chèvre !
— Ou : le loup ou le hibou !
— Et : le plus !
— Donc : Sherlock Holmes !
— Or : la pièce d’or !
— Ni : le nid de l’oiseau pas très sage !
— Car : la voiture en anglais !
— Mais où est donc Ornicar ?
— Mais ou et donc or ni car ? »

Aussitôt, un grand tourbillon souleva les ingrédients déposés sur la table. Quand il retomba, les indices avaient disparu. A leur place se tenait un drôle de petit garçon, avec une couronne sur la tête et un gros livre sous le bras.
« C’est toi, Ornicar ? demanda Quentin.
— Mais oui, dit le garçon. Je suis le prince Ornicar et tu m’as trouvé.
— Où étais-tu caché ?
— Je n’étais pas vraiment caché, j’étais dans mon château, dans le Royaume Secret de Grammaire.
— De Grand-mère ?
— Mais non, rit Ornicar, de GRA-mmaire, pas de Grand-mère ! »
Et Quentin le Petit Magicien rit avec lui. Le prince Ornicar, à vrai dire, était aussi magicien. Un des plus grands magiciens des mots.
« C’est rigolo, la magie des mots, dit Quentin, mais c’est aussi compliqué. Qu’est-ce qu’on peut faire avec ?
— Oh, beaucoup de choses, expliqua Ornicar. On peut lire tous les livres du monde, donc tout apprendre. On peut métamorphoser toutes les choses, ou presque.
— Comme une voiture en bus, dit Quentin.
— Ou la grammaire en grand-mère, sourit sa Maman.
— On peut aussi faire apparaître des histoires tout seul dans sa tête, continua Ornicar.
— Sans Maman ni Papa ? demanda Quentin.
— Sans Maman ni Papa, et même sans livre ni papier ni stylo ni ordinateur. On peut même, si on est très chanceux, arrêter une guerre. Et aussi… mais tu es encore trop petit pour que ça t’intéresse, dit le prince.
— Dis quand même, protesta Quentin, je suis grand !
— On peut aussi séduire les filles[4], avec la magie des mots. »

Mais en effet, Quentin était encore trop petit pour s’intéresser à la séduction. N’empêche qu’il était drôlement fier d’avoir résolu les sept énigmes, trouvé Ornicar et commencé à apprendre la magie des mots. Maintenant qu’il l’a découvert, le prince Ornicar revient souvent le voir depuis son Royaume Secret de Grammaire et lui enseigner d’autres sortilèges de la magie des mots.
Parfois aussi ils se contentent de rire et de jouer ensemble. Ornicar l’avait oublié dans sa liste, mais la magie des mots, c’est aussi pour faire des blagues !



[1] Ce qui donnerait un sens nouveau et fascinant à l’expression « tomber de Charybde en Scylla »… je veux dire « tomber de Charybde en Syllabe »
[2] Quentin le Petit Magicien n’en connaissait pas assez pour utiliser son extraterrestre. Et n’oubliez pas que sa Maman et lui sont en train de parler, alors que vous lisez un texte écrit. On n’entend pas du tout la même chose en prononçant ET et en lisant ET (ou Hi-Ti). C’est encore une magie.
[3] Si vous ne savez pas ce dont il s’agit, lisez « Quentin le Petit Magicien et le Caca de Chimère ». Quand je l'aurai posté.
[4] Ou les garçons, à vrai dire.