samedi 1 novembre 2014

Les Quatre Ans du Petit Magicien (1) : le Récit

(Oui, c'était il y a deux mois, je sais bien.)

Cette année, je voulais de la magie pour mon Petit Magicien.
De la vraie magie. Celle qui émerveille, qui écarquille les yeux, qui fait qu’on y croit.

Il en absorbe tous les jours, il y en a plein nos histoires, et il en réclame davantage. Les bouts de bois se transforment souvent en baguettes magiques, les balais s’envolent, les entassements de branchages sont des maisons de Trolls et une armée d’animaux magiques arrive à l’appel de sa trompette (en tout cas, c’est ce qu’il nous dit). Sans parler de Sirius Black. Bref.

Nous avons finalement mis au point, à grands renforts de blogs écumés, de shopping spécialisé et d’amis pyrotechniciens, un anniversaire sur le thème des Lutins dont je suis assez contente.
Fairy door. Photo ©Cécile Saimond http://metalmidinette.com/2014/09/10/voyage-en-faerie/


Le Grand Déménagement
Savez-vous que les lutins déménagent à la fin de l’été ? Ils quittent leurs maisons d’arbres pour redescendre dans les sous-sols du sidh, loin, profond, à l’abri de l’hiver. Seules quelques créatures, comme les trolls, demeurent actifs à la froide saison.
Ce grand déménagement est un excellent moment pour observer l’activité faërique. On y trouve souvent des maisons lutines trop hâtivement désertées, des possessions oubliées, et parfois même on y croise quelques lutins retardataires…
La difficulté est d’estimer la date du déménagement, qui varie selon les régions, évidemment, mais aussi selon les phases de la lune et parfois même selon la précocité de l’hiver précédent.
Dans le Jura, les lutins, prudent, déménagent souvent aux derniers jours d’août (et ils ont eu bien tort, cette année, de rater le magnifique été indien qui a suivi.)
Nous avons donc proposé au Petit Magicien, le week-end de son anniversaire, de construire un piège à lutin pour tenter d’en capturer un.

Comment construire un piège à lutin ?
Rassurez-vous, ces pièges ne blessent pas les lutins (sinon dans leur orgueil). Le principe en est simplissime.
Prenez une boîte en carton (par exemple un carton de couches, si comme nous, vous avez un Tout-Petit-Magicien sous la main). Découpez-y un trou circulaire. Attention, le diamètre de ce trou est l’élément crucial du piège : il doit être juste assez grand pour y entrer une main. Placez dans la boîte une pomme. Choisissez la grosse, ronde, rouge et parfumée. Refermez la boîte à grands renforts de scotch.
Installez cette boîte à un endroit stratégique : près d’une porte ou d’une fenêtre ouverte mais pas à un endroit de grand passage. Mieux vaut s’assurer que la boîte sera difficile à déplacer : nous l’avions solidement attachée à une chaise.
L’idéal est d’installer un mécanisme d’alarme, comme une simple ficelle allant de la boîte à une cloche.
Vous avez compris ? Le lutin, attiré par l’odeur de la pomme, glissera sa main dans la boîte pour s’en emparer. Mais le trou n’est pas assez grand pour laisser ressortir sa  main tenant la pomme. Horreur ! Le lutin, refusant de laisser échapper le fruit, ragera et secouera la boîte, déclenchant ainsi l’alarme.

La capture
Nous avons construit le piège samedi soir avec notre Petit Magicien. Au dimanche matin, quelle déception, nous n’avions toujours capturé aucune créature faërique ! Les invités ont commencé d’arriver et se sont tous fort intéressés au piège. A vrai dire, ils ont déclenché le piège tous seuls à plusieurs reprises et avec force gloussements, pour nous faire des blagues. Nous accourrions… seulement pour les trouver tordus de rire près du piège.
« Ça suffit, leur ai-je dit finalement. Comment voulez-vous qu’un lutin approche si vous restez tout près du piège ? »
Alors je les ai emmenés faire un bricolage d’anniversaire, la merveilleuse veilleuse à LED de Ma Coco Box.
Et là, alors que nous étions tous absorbés par l’encollage de papier de soie sur des (petits) pots de verre… Ding-dong-ding-dong ! Nous nous regardons. Nous nous comptons. Mais… tout le monde est là ! Et ding-dong-ding-dong ! Qui est-ce, donc, qui fait sonner la cloche du piège !
Nous nous précipitons, les petits en tête. Ils dévalent l’escalier… et remontent bien vite quelques marches, pour mettre de la distance entre eux et la créature qui se débat dans le piège. Car nous avons bien capturé un lutin, mais pas un petit ! Il est plus grand qu’eux, et même plus grand que moi, vêtu d’étranges vêtements colorés, disparates et désuets, et doté de curieuses oreilles[1].

Lutin ©Brian et Wendy Froud
La négociation
Si vous avez déjà été en contact avec une créature de Faërie, vous le savez, à n’en pas douter. Avec eux, il s’agit de négocier. Et serré. En lisant bien les petites lignes.
Que voulait le lutin ? Etre libéré du piège, pardi, mais avec la pomme ! Et nous ? Des gâteaux et des bonbons, ont clamé les petits, un brin intéressés.
Bien entendu, le Lutin a protesté pendant plusieurs minutes de sa misère et de sa pauvreté, mais il a finalement admis connaître la recette d’une certaine potion-à-sucreries-arc-en-ciel. Ou peut-être ne l’a-t-il pas admis, exactement, mais l’un des enfants a subtilisé ladite recette dans sa poche. Bien sûr, la plupart des ingrédients ne pouvaient se trouver qu’en Faërie. Il faudrait donc que le Lutin nous ouvre une Porte. Il nous a aimablement proposé une petite lampée de sa boisson faërique (« attention, a-t-il prévenu, c’est du raide ») pour nous aider à discerner l’invisible. Surtout, il faudrait des protections — ce que le bougre s’est bien gardé de nous dire, mais heureusement nous avons quelque expérience en la matière. Emmener de jeunes enfants en Faërie, c’est toujours un peu dangereux, les Belles Gens pourraient bien vouloir les subtiliser et les remplacer par quelques changelins. Or nous y tenons, à nos monstraillons.
« Bon, bon, a bougonné le Lutin. Suivez les feux follets. »
Des feux follets ? Mais il faisait grand jour.
« Allez dans le noir, alors ! »
Le Lutin pestait de plus belle de s’être laissé enferrer par de tels imbéciles.
Et en effet, à notre grande surprise, dans le dortoir enténébré, nous avons distinguer une, deux, dix petites lueurs frémissantes qui semblaient cligner de l’œil. Des feux follets ! Traçant une piste ! Seul le Petit Magicien[2] a été assez brave pour pénétrer dans la pièce et suivre le chemin des feux follets. Au bout de la piste, il a trouvé un petit sachet de tissu translucide et coloré, qu’il a triomphalement rapporté.
Et dedans ? Six colliers de soie verte et de glands métalliques, six colliers pour protéger six enfants.
Un dernier coup d’œil sur la recette (tiens, ils disent qu’il faut de l’eau ! quelqu’un a une bouteille ? et des gants ! pour ramasser les champignons !), un panier sous mon bras, et nous voici partis. Gambadant sur la route, le Lutin croquait sa pomme en arborant un air des plus matois. On l’entendait murmurer : « …Leur ai pas dit où elle était, la Porte ! » Les enfants ont éclaté de rire : « Mais on le sait ! On l’a passée l’an dernier, pour combattre le Chapuzieux ! »
Le Lutin, vexé, est resté silencieux jusqu’à l’approche du Portail.
Et là… à peine les enfants avaient-ils commencé de former un cercle avec lui que… boum ! bam ! fizzzz ! Des gerbes d’étincelles et une épaisse fumée blanche ont voilé le portail pendant plusieurs minutes, laissant quelques flammèches derrière eux. Nous avons prudemment attendu qu’elles se dissipent, et, un par un, nous sommes entrés en Faërie.

Les ingrédients
Nous nous sommes donc lancés à la chasse aux ingrédients. Nous avons trouvé d’abord les Œufs de Grenouilles-Faës, minuscules et colorés. Non loin d’eux, une vasque transparente, pleine d’eau immobile, reposait dans l’herbe. Nous y avons prudemment déposé non pas six mais douze Œufs, au cas où, et avons poursuivi notre chemin. De temps en temps, l’un des petits explorateurs criait « Là ! un champignon ! vite, des gants ! » et nous déposions la cueillette dans mon panier. D’arbre en buisson, grimpant une pente escarpée, nous avons commencé à déceler des signes de présence faëe. Des portes ! De minuscules portes abandonnées en bas des troncs, au creux des mousses !
Nous avons trouvé les Glands d’Argent, faciles à reconnaître, les Glands-Joyaux, luisant en leur cœur d’étranges couleurs, et enfin les fioles… mais ! Elles étaient toutes blanches, ces Fioles, prétendument d’Elixir Arc-en-Ciel ! L’aînée des enfants, la seule lettrée, a relu la recette : « Ajouter de l’eau pour les révéler ». Elle a donc débouché sa fiole, nous y avons versé un peu d’eau… rien. Elle l’a secouée un peu et là, stupéfaction ! La fiole s’est teintée d’un jaune éclatant !
Enthousiastes, les autres petits quêteurs ont tenté l’expérience avec les autres fioles : vert ! bleu ! rouge ! orange ! violet ! Extraordinaire ! Nous avions notre élixir arc-en-ciel[3].

La potion
Nous avons prudemment redescendu la pente (il a fallu porter certains enfants), récupéré la Fontaine où trempaient les Œufs, et sommes revenus près de la maison.
Armés de la recette, les enfants ont soigneusement versé dans une marmite tous les ingrédients, en comptant bien : « un, deux, trois, quatre, cinq, six glands… »
La marmite a été déposée sur la table du jardin, le Lutin leur a demandé de reculer un peu et de se boucher les oreilles… et il a bien fait, car une détonation a retenti, accompagnée de fumées multicolores[4].
Quand les enfants se sont approchés, les ingrédients avaient disparu et à la place on comptait un, deux, trois, quatre, cinq, six sachets remplis de friandises.
 
Nous avons bien remercié le lutin. Et bien mangé.
Les Œufs inutilisés ont continué de grossir, translucides et irisés.
Nous ne savons pas trop qui a fait le gâteau (était-ce moi ou le lutin ?) mais ce qui est sûr, c’est que quand je l’ai découpé, le haut de la colline a laissé échapper un flot de gros berlingots… S’il n’y a pas de la magie là-dessous…

(Dans le prochain épisode : en coulisses ou « qu’est-ce que c’est que cette histoire de fous ? » — l’explication de tous nos trucs)


[1] J’estimerai, plus tard, qu’il s’agit sans doute d’un Pooka 
mais à vrai dire nous n’avons pas eu l’occasion de le lui demander — ce n’aurait guère été poli, qui plus est.
[2] pour la seule fois de cette aventure voire de son existence
[3] les lutins ne semblent pas connaître l’indigo
[4] même que la table en est restée tachée

1 commentaire:

  1. Quel bel anniversaire ! Et quel bonheur de lire de la magie dans notre monde qui en a bien besoin :) Merci !

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