Le Grand Déménagement
Savez-vous que les lutins déménagent à la fin de
l’été ? Ils quittent leurs maisons d’arbres pour redescendre dans les
sous-sols du sidh, loin, profond, à l’abri de l’hiver. Seules quelques
créatures, comme les trolls, demeurent actifs à la froide saison.
Ce grand déménagement est un excellent moment pour observer
l’activité faërique. On y trouve souvent des maisons lutines trop hâtivement
désertées, des possessions oubliées, et parfois même on y croise quelques
lutins retardataires…
La difficulté est d’estimer la date du déménagement, qui
varie selon les régions, évidemment, mais aussi selon les phases de la lune et
parfois même selon la précocité de l’hiver précédent.
Dans le Jura, les lutins, prudent, déménagent souvent aux
derniers jours d’août (et ils ont eu bien tort, cette année, de rater le
magnifique été indien qui a suivi.)
Nous avons donc proposé au Petit Magicien, le week-end de
son anniversaire, de construire un piège à lutin pour tenter d’en capturer un.
Comment construire un
piège à lutin ?
Rassurez-vous, ces pièges ne blessent pas les lutins (sinon
dans leur orgueil). Le principe en est simplissime.
Prenez une boîte en carton (par exemple un carton de
couches, si comme nous, vous avez un Tout-Petit-Magicien sous la main).
Découpez-y un trou circulaire. Attention, le diamètre de ce trou est l’élément
crucial du piège : il doit être juste assez grand pour y entrer une
main. Placez dans la boîte une pomme. Choisissez la grosse, ronde, rouge et
parfumée. Refermez la boîte à grands renforts de scotch.
Installez cette boîte à un endroit stratégique : près
d’une porte ou d’une fenêtre ouverte mais pas à un endroit de grand passage.
Mieux vaut s’assurer que la boîte sera difficile à déplacer : nous
l’avions solidement attachée à une chaise.
L’idéal est d’installer un mécanisme d’alarme, comme une
simple ficelle allant de la boîte à une cloche.
Vous avez compris ? Le lutin, attiré par l’odeur de la
pomme, glissera sa main dans la boîte pour s’en emparer. Mais le trou n’est pas
assez grand pour laisser ressortir sa
main tenant la pomme. Horreur ! Le lutin, refusant de laisser
échapper le fruit, ragera et secouera la boîte, déclenchant ainsi l’alarme.
La capture
Nous avons construit le piège samedi soir avec notre Petit
Magicien. Au dimanche matin, quelle déception, nous n’avions toujours capturé
aucune créature faërique ! Les invités ont commencé d’arriver et se sont
tous fort intéressés au piège. A vrai dire, ils ont déclenché le piège tous
seuls à plusieurs reprises et avec force gloussements, pour nous faire des
blagues. Nous accourrions… seulement pour les trouver tordus de rire près du
piège.
« Ça suffit, leur ai-je dit finalement. Comment voulez-vous
qu’un lutin approche si vous restez tout près du piège ? »
Alors je les ai emmenés faire un bricolage d’anniversaire,
la merveilleuse veilleuse à LED de
Ma Coco Box.
Et là, alors que nous étions tous absorbés par l’encollage
de papier de soie sur des (petits) pots de verre… Ding-dong-ding-dong !
Nous nous regardons. Nous nous comptons. Mais… tout le monde est là ! Et
ding-dong-ding-dong ! Qui est-ce, donc, qui fait sonner la cloche du
piège !
Nous nous précipitons, les petits en tête. Ils dévalent
l’escalier… et remontent bien vite quelques marches, pour mettre de la distance
entre eux et la créature qui se débat dans le piège. Car nous avons bien
capturé un lutin, mais pas un petit ! Il est plus grand qu’eux, et même plus
grand que moi, vêtu d’étranges vêtements colorés, disparates et désuets, et
doté de curieuses oreilles
.
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Lutin ©Brian et Wendy Froud |
La négociation
Si vous avez déjà été en contact avec une créature de
Faërie, vous le savez, à n’en pas douter. Avec eux, il s’agit de négocier. Et
serré. En lisant bien les petites lignes.
Que voulait le lutin ? Etre libéré du piège, pardi,
mais avec la pomme ! Et nous ? Des gâteaux et des bonbons, ont
clamé les petits, un brin intéressés.
Bien entendu, le Lutin a protesté pendant plusieurs minutes
de sa misère et de sa pauvreté, mais il a finalement admis connaître la recette
d’une certaine potion-à-sucreries-arc-en-ciel. Ou peut-être ne l’a-t-il pas
admis, exactement, mais l’un des enfants a subtilisé ladite recette dans sa
poche. Bien sûr, la plupart des ingrédients ne pouvaient se trouver qu’en
Faërie. Il faudrait donc que le Lutin nous ouvre une Porte. Il nous a
aimablement proposé une petite lampée de sa boisson faërique (« attention,
a-t-il prévenu, c’est du raide ») pour nous aider à discerner l’invisible.
Surtout, il faudrait des protections — ce que le bougre s’est bien gardé de
nous dire, mais heureusement nous avons quelque expérience en la matière. Emmener
de jeunes enfants en Faërie, c’est toujours un peu dangereux, les Belles Gens
pourraient bien vouloir les subtiliser et les remplacer par quelques
changelins. Or nous y tenons, à nos monstraillons.
« Bon, bon, a bougonné le Lutin. Suivez les feux follets. »
Des feux follets ? Mais il faisait grand jour.
« Allez dans le noir, alors ! »
Le Lutin pestait de plus belle de s’être laissé enferrer par
de tels imbéciles.
Et en effet, à notre grande surprise, dans le dortoir
enténébré, nous avons distinguer une, deux, dix petites lueurs frémissantes qui
semblaient cligner de l’œil. Des feux follets ! Traçant une piste !
Seul le Petit Magicien
a été assez brave pour pénétrer dans la pièce et suivre le chemin des feux
follets. Au bout de la piste, il a trouvé un petit sachet de tissu translucide
et coloré, qu’il a triomphalement rapporté.
Et dedans ? Six colliers de soie verte et de glands
métalliques, six colliers pour protéger six enfants.
Un dernier coup d’œil sur la recette (tiens, ils disent
qu’il faut de l’eau ! quelqu’un a une bouteille ? et des gants !
pour ramasser les champignons !), un panier sous mon bras, et nous voici
partis. Gambadant sur la route, le Lutin croquait sa pomme en arborant un air
des plus matois. On l’entendait murmurer : « …Leur ai pas dit où elle
était, la Porte ! » Les enfants ont éclaté de rire : « Mais
on le sait ! On l’a passée
l’an dernier, pour combattre le Chapuzieux ! »
Le Lutin, vexé, est resté silencieux jusqu’à l’approche du
Portail.
Et là… à peine les enfants avaient-ils commencé de former un
cercle avec lui que… boum ! bam ! fizzzz ! Des gerbes
d’étincelles et une épaisse fumée blanche ont voilé le portail pendant
plusieurs minutes, laissant quelques flammèches derrière eux. Nous avons
prudemment attendu qu’elles se dissipent, et, un par un, nous sommes entrés en
Faërie.
Les ingrédients
Nous nous sommes donc lancés à la chasse aux ingrédients.
Nous avons trouvé d’abord les Œufs de Grenouilles-Faës, minuscules et colorés.
Non loin d’eux, une vasque transparente, pleine d’eau immobile, reposait dans
l’herbe. Nous y avons prudemment déposé non pas six mais douze Œufs, au cas où,
et avons poursuivi notre chemin. De temps en temps, l’un des petits
explorateurs criait « Là ! un champignon ! vite, des
gants ! » et nous déposions la cueillette dans mon panier. D’arbre en
buisson, grimpant une pente escarpée, nous avons commencé à déceler des signes
de présence faëe. Des portes ! De minuscules portes abandonnées en bas des
troncs, au creux des mousses !
Nous avons trouvé les Glands d’Argent, faciles à
reconnaître, les Glands-Joyaux, luisant en leur cœur d’étranges couleurs, et
enfin les fioles… mais ! Elles étaient toutes blanches, ces Fioles,
prétendument d’Elixir Arc-en-Ciel ! L’aînée des enfants, la seule lettrée,
a relu la recette : « Ajouter de l’eau pour les révéler ». Elle
a donc débouché sa fiole, nous y avons versé un peu d’eau… rien. Elle l’a
secouée un peu et là, stupéfaction ! La fiole s’est teintée d’un jaune
éclatant !
Enthousiastes, les autres petits quêteurs ont tenté
l’expérience avec les autres fioles : vert ! bleu ! rouge !
orange ! violet ! Extraordinaire ! Nous avions notre élixir
arc-en-ciel
.
La potion
Nous avons prudemment redescendu la pente (il a fallu porter
certains enfants), récupéré la Fontaine où trempaient les Œufs, et sommes
revenus près de la maison.
Armés de la recette, les enfants ont soigneusement versé
dans une marmite tous les ingrédients, en comptant bien : « un, deux,
trois, quatre, cinq, six glands… »
La marmite a été déposée sur la table du jardin, le Lutin
leur a demandé de reculer un peu et de se boucher les oreilles… et il a bien
fait, car une détonation a retenti, accompagnée de fumées multicolores
.
Quand les enfants se sont approchés, les ingrédients avaient
disparu et à la place on comptait un, deux, trois, quatre, cinq, six sachets
remplis de friandises.
Nous avons bien remercié le lutin. Et bien mangé.
Les Œufs inutilisés ont continué de grossir, translucides et
irisés.
Nous ne savons pas trop qui a fait le gâteau (était-ce moi
ou le lutin ?) mais ce qui est sûr, c’est que quand je l’ai découpé, le
haut de la colline a laissé échapper un flot de gros berlingots… S’il n’y a pas
de la magie là-dessous…
(Dans le prochain
épisode : en coulisses ou « qu’est-ce que c’est que cette histoire de
fous ? » — l’explication de tous nos trucs)