mercredi 20 février 2013

Histoires du Soir : Mais Où Est Donc Ornicar ?

Ce n'est pas l'histoire que j'avais prévu de poster en premier. Je comptais relater d'abord ma grande série d'Histoires de Cacas, hommage à Terry Pratchett. J'espère bien avoir le temps de le faire dans les semaines à venir.
Mais ce matin, c'est ma première vraie demi-journée de congé depuis… longtemps, très longtemps, je ne sais même plus combien de temps. J'en ai donc profité pour écrire l'histoire racontée hier soir.
Je plaide coupable, mais tiens à souligner que c'est ma première histoire de "prof de français" !


Quentin le Petit Magicien à la recherche d’Ornicar


Ce jour-là, la maîtresse de Quentin leur avait confié une Quête. Non pas la maîtresse qui leur enseignait la magie, non, l’autre maîtresse, celle de l’école de tous les jours, celle qui enseignant à tous les enfants, magiciens ou pas.
Elle avait écrit en gros sur le tableau :
« Pour demain : résoudre l’énigme et trouver Ornicar ».
Les élèves s’étaient exclamés : « Ornicar ! Quelle drôle de nom ! Qui c’est, Ornicar ? On doit le chercher où ? »
La maîtresse s’était retournée vers eux en souriant (et sans corriger leurs fautes de grammaire, justement, car c’était une bonne partie de la quête) et leur avait dit :
« Pour le savoir, il vous faudra résoudre l’énigme. Elle tient en une seule phrase qui contient tous les indices. Attention, il faudra bien la retenir. Êtes-vous prêts ?
— Oui, maîtresse !
— Attention, voilà la phrase. Mais où est donc Ornicar ? »
La phrase était facile : « Mais où est donc Ornicar ? » répétèrent les enfants en cœur.
Mais Quentin avait bien reconnu le ton employé par la maîtresse pour la prononcer : celui des formules magiques. Il n’en revenait pas : cette maîtresse-là s’y connaissait aussi en magie ?

Il rentra donc chez lui tout excité et bien décidé à résoudre l’énigme et trouver Ornicar. A vrai dire, ce nom lui disait quelque chose. Il était presque sûr de l’avoir déjà entendu quelque part. Dans un livre, sans doute. Il se dirigea donc sans attendre vers la bibliothèque de sa Maman.
Il trouva un Ottokar, dont le sceptre avait disparu ; un Amilcar, général d’une armée d’éléphants ; un Ornithorynque jamais content de son sort — mais d’Ornicar, point.

A ce moment-là, il entendit sa Maman descendre l’escalier. Elle avait fini de travailler ! Il se précipita vers elle : « Mamanmaman ! Où est Ornicar ? »
Sa Maman sourit et le souleva dans ses bras : « Tu as oublié deux mots, mon loupiot : Mais où est donc Ornicar ?
— Ahah ! triompha Quentin. Alors j’avais raison, c’est bien une formule magique ! Et tu la connais ! »
Sa Maman le posa sur le canapé et s’assit près de lui.
« Oui, mon Pixie. Où as-tu cherché Ornicar, pour l’instant ?
— Dans les livres ! Et… » Quentin se prenait au jeu : il adorait le cache-cache. « Sous l’escalier ! Dans les feuilles ! Dans la cuisine ! Dans le ciel ! Mais je ne l’ai pas trouvé.
— Pourtant tu as commencé à résoudre l’énigme, lui dit sa Maman. La maîtresse ne vous a-t-elle pas dit que tous les indices se trouvaient dans la phrase magique ?
— Si, dit Quentin. Mais je n’ai pas compris.
— Pourtant tu connais bien le premier indice, tu viens même de l’utiliser deux fois. » sourit sa Maman.
Ça alors ! Quentin n’en revenait pas ! Comment donc trouvait-il des indices sans s’en apercevoir ?
« Ecoute bien, mon Lutin, lui dit sa Maman. Cette phrase magique est composée de syllabes. Il y en a sept. Toutes sont importantes.
Les syllabes, ce sont des gros monstres poilus ? » demanda Quentin. Il aimait bien les gros monstres poilus.
« Ma foi, pourquoi pas ? Je les imaginais plutôt comme de petites créatures multicolores, mais tu as peut-être raison[1], dit sa Maman. Ecoute les bien : Mais - où - est - donc - Or - ni - car. 
— Mais - où - est - donc - Or - ni - car ! répéta Quentin.
— Chaque syllabe est un indice. Chacune est une énigme à résoudre. A la fin, nopus trouverons Ornicar. »
Sa Maman débarrassa soigneusement la table et y posa un grand papier de protection, comme chaque fois qu’ils s’apprêtaient à faire de la magie (ou de la peinture).
« Commençons par le premier indice : MAIS.
— Mais ! cria Quentin. Mais ça ne veut rien dire !
— Mais si, sourit Maman. Nous n’arrêtons pas de l’utiliser. »
A vrai dire, Quentin le Petit Magicien utilisait très souvent le Mais. Chaque fois qu’il n’était pas d’accord, ce qui arrivait une centaine de fois par jour.
« Mais, fit remarquer Quentin, c’est aussi le cri de la chèvre : Mêêêêê !
— Bonne idée, dit sa Maman. Va chercher une chèvre dans ta ferme : ce sera notre premier ingrédient. »

Quentin se précipita, extirpa l’animal de sa ferme en bois et le posa fièrement sur la table, au milieu du papier.
« Bravo, dit sa Maman. Et maintenant, le deuxième indice, la deuxième syllabe : OU.
— Où, c’est facile, dit Quentin, sauf que je ne trouve pas où il est, Ornicar.
— Ahah, dit sa maman. C’est vrai, mais il y a d’autres OU.
— Le loup ! cria Quentin. Wouououou !
— Bravo, applaudit Maman. Mais il y a encore un autre OU.
— Le OU du hibou, proposa le Petit Magicien. Hou-hou !
— Très bien ! Mais il y en a encore un. »
Quentin réfléchit très fort.
«  Le OU du fantôme ! Houhouhouohou…
— Que tu es malin, rit Maman, je n’y avais pas pensé. Il y a aussi le OU qui te laisse le choix. Comme ceci : veux-tu un petit beurre ou une madeleine ?
— Les deux ! » cria Quentin qui commençait à avoir faim. Mais il avait compris. Et pendant que sa maman préparait le goûter, il la suivit en répétant des OU : « Demain, je vais à l’école ou je reste à la maison ? C’est Papa qui m’amènera à l’école, ou Maman ? Tu préfères les loups ou les hibous ? »
Et après avoir mangé, il eut une très bonne idée : « Maman, comme deuxième ingrédient, je vais mettre un loup et un hibou. Comme ça, la magie pourra choisir.
— Le Wouououou du loup ou le Hou-hou du hibou, compléta sa Maman. C’est très bien ! »
Quentin courut chercher un domino avec des images de loups (il y en avait deux, mais ce n’était pas grave, ça ferait un Ou de plus) et un petit hibou oublié en rangeant les décorations de Noël. Il les posa sur la table près de la chèvre.

« Le troisième indice ! réclama-t-il.
— Mais où est donc Ornicar ? répéta sa Maman. Est.
— Est, et, hé… C’est difficile. Qu’est-ce que c’est, est ?
— Hé bien, expliqua sa Maman, c’est le verbe être…
— Le verbe être ! » répéta Quentin fièrement. Mais il n’était guère plus avancé. Le verbe être, c’est dans Je suis un magicien, dans Ils sont bien embêtés, dans C’était difficile, et il se transforme toujours, on n’arrive pas à l’entendre, encore moins à l’attraper.
« Heureusement, dit Maman, c’est un autre ET qui nous intéresse ici. Le ET pour ajouter. Par exemple, ceci : Quentin aime les pâtes et le chocolat ; Je mange du pain et du miel ; J’aime Quentin et Papa.
— C’est facile, se réjouit le Petit Magicien. Je veux un petit beurre et une madeleine !
— Tu les as déjà engloutis tous les deux » fit remarquer sa Maman.
Mais comment trouver un ET à poser sur la table[2] ? Quentin eut une autre très bonne idée : « Maman ! Le ET, c’est pour ajouter. Alors je vais prendre le + en aimant de mon tableau, parce qu’un + c’est aussi pour ajouter ! »
Et il posa le petit aimant en forme de + sur la table, près de la chèvre, du loup et du hibou.

« Quatrième syllabe !
— DONC. Ça, c’est difficile, admit sa Maman.
Donc, donc, doncques », répéta Quentin. Mais il ne trouvait rien.
« C’est de la magie un peu plus avancée, s’excusa sa Maman. Je vais essayer de t’expliquer. Donc, c’est un mot qu’on utilise pour réfléchir.
— Pour réfléchir très fort ? Comme Sherlock Holmes ?
— Exactement comme Sherlock Holmes, c’est une très bonne idée. Les détectives utilisent beaucoup la magie du DONC pour leurs enquêtes. Je vois deux séries d’empreintes dans la neige, donc deux personnes sont passées par là. Il n’y a pas d’empreintes qui vont dans l’autre sens, donc ils sont ressortis par un autre chemin.
— Ou ils ne sont pas ressortis du tout et ils sont toujours dans la maison ! dit Quentin.
— Bravo, dit sa Maman, tu sais utiliser la magie du DONC, celle du OU et celle du ET, maintenant. Tu vas devenir un grand détective.
— Elles sont à Ornicar, ces empreintes ? demanda le Petit Magicien.
— Je ne crois pas, dit Maman, elles sont trop grandes pour Ornicar.
— Donc Ornicar est petit ?
— Oui ! Tu as réussi ! »
Quentin alla chercher une image de Sherlock Holmes, avec sa pipe et son chapeau, et la posa sur la table avec la chèvre, le loup, le hibou et le plus.

« Cinquième indice, s’exclama-t-il tout excité. Mais où est donc… Maman ! Ça y est ! On arrive à Ornicar ! On va le trouver !
— En effet, nous approchons. Mais souviens-toi des syllabes.
— Les monstres poilus !
— Ce sont des monstres gentils, tu sais. Alors, quelle est la cinquième syllabe ?
— Or-ni-car… C’est Or ! Or, c’est facile, c’est le trésor des pirates! C’est un mot drôlement bien, un qu’on trouve dans les histoires.
— C’est vrai, mon Quentin, on le trouve dans les histoires. Mais il ne s’agit pas toujours de pièces d’or. C’est aussi un drôle de petit mot qui permet de faire arriver quelque chose. Dans un conte, par exemple.
— Comme Il était une fois ?
— Un peu. Par exemple, écoute : Il était une fois un roi et une reine très intelligents et très gentils, très aimés de leur peuple, qui se désolaient de n’avoir pas d’enfant. Or, un jour, la reine mit au monde une belle petite fille…
— Je connais cette histoire, dit Quentin, c’est la Belle au Bois Dormant ! »
OR était décidément un mot très sympathique, un mot à histoires. Le Petit Magicien alla chercher son unique pièce d’or, celle qu’il avait dérobée au terrible Barbe-Noire dans une autre aventure. Il la déposa sur la table, près de la chèvre, du loup, du hibou, du plus et de Sherlock Holmes.

« Sixième indice… Orni… C’est NI ! Euh… réfléchit Quentin. Nid comme la maison des oiseaux ?
­— C’est vrai, mon Ogrelet. Mais NI est aussi un petit mot magique comme toutes les autres syllabes. Il sert à dire deux fois Non. Par exemple : aimes-tu les salsifis ?
— Non, beurk !
— Et les betteraves ?
— Non alors ! » Quentin avait beau être un petit magicien, il avait les mêmes goûts que tous les petits garçons du monde — disons d’Europe — et préférait nettement les gâteaux aux légumes. Mais cette fois sa Maman ne soupira pas, non, cette fois ils faisaient de la magie et c’était une affaire sérieuse.
« Tu n’aimes donc ni les salsifis ni les betteraves. Et souvent, le soir, tu ne veux ni te laver les dents, ni te mettre en pyjama…
— Ni me mettre au lit ! Ni faire dodo ! compléta Quentin.
— Tu as compris. » dit sa Maman. Et cette fois, tout de même, elle soupira.
Quentin était ravi d’une magie aussi facile. Mais il réfléchit un peu et ajouta : « Ce n’est pas un mot très sage, alors, le NI ?
— En effet », confirma sa Maman.
Quentin prit une belle feuille de papier, ses feutres, et s’appliqua pour dessiner un nid de brindilles avec un petit oiseau pas très sage qui ouvrait grand son bec en hurlant.
« Et voilà le NI ! »
Il posa le dessin avec la chèvre, le loup, le hibou, le plus, Sherlock Holmes et la pièce d’or.

« Il reste CAR ! Je sais ce qu’est c’est, c’est comme un bus (Quentin aimait beaucoup les bus.)
— C’est vrai, dit sa Maman. Et sais-tu ce que veut dire car en anglais ? »
Les parents de Quentin, comme la plupart des Magiciens, connaissent toutes sortes de langues bizarres.
« Non, dit le petit garçon.
— En anglais, car veut dire « voiture ».
— Ça alors ! Et comment disent-ils  pour parler d’un car ?
— Ils disent bus.
— C’est vraiment bizarre !
— C’est une autre magie des mots, mon Crapaud. »
Quentin protesta : il n’était pas un crapaud. Mais il avait tout de même une bonne idée :
« Je vais prendre une petite voiture et lui mettre le drapeau anglais. Ce sera une voiture anglaise, un CAR ! … Mais tu veux bien m’aider à dessiner le drapeau ? »
Sa Maman l’aida, bien entendu. Le drapeau anglais est très difficile à dessiner correctement. Mais tout en dessinant, elle continua à lui expliquer : « CAR a aussi un autre sens. C’est un mot pour réfléchir, comme le DONC. Ecoute : Je dois me couvrir pour sortir car il fait très froid. Je dois me coucher car il est l’heure de la sieste.
— Sherlock Holmes ne fait pas la sieste, Maman ! Mais j’ai compris, c’est comme parce que.
Je sais que les chiens sont passés dans la neige car je vois la trace du traîneau. Je sais que c’est une chimère car elle a une tête du lion et une queue de serpent[3].
— Bravo, mon héros. »
Quentin préférait être un héros qu’un crapaud.
Il posa la voiture anglaise près près de la chèvre, du loup, du hibou, du plus, de Sherlock Holmes, de la pièce d’or et du dessin.

« Tous les indices sont réunis ! Maintenant, nous allons trouver Ornicar, annonça Maman en sortant sa baguette magique. Il faut répéter la formule avec moi.
— Mais : la chèvre !
— Ou : le loup ou le hibou !
— Et : le plus !
— Donc : Sherlock Holmes !
— Or : la pièce d’or !
— Ni : le nid de l’oiseau pas très sage !
— Car : la voiture en anglais !
— Mais où est donc Ornicar ?
— Mais ou et donc or ni car ? »

Aussitôt, un grand tourbillon souleva les ingrédients déposés sur la table. Quand il retomba, les indices avaient disparu. A leur place se tenait un drôle de petit garçon, avec une couronne sur la tête et un gros livre sous le bras.
« C’est toi, Ornicar ? demanda Quentin.
— Mais oui, dit le garçon. Je suis le prince Ornicar et tu m’as trouvé.
— Où étais-tu caché ?
— Je n’étais pas vraiment caché, j’étais dans mon château, dans le Royaume Secret de Grammaire.
— De Grand-mère ?
— Mais non, rit Ornicar, de GRA-mmaire, pas de Grand-mère ! »
Et Quentin le Petit Magicien rit avec lui. Le prince Ornicar, à vrai dire, était aussi magicien. Un des plus grands magiciens des mots.
« C’est rigolo, la magie des mots, dit Quentin, mais c’est aussi compliqué. Qu’est-ce qu’on peut faire avec ?
— Oh, beaucoup de choses, expliqua Ornicar. On peut lire tous les livres du monde, donc tout apprendre. On peut métamorphoser toutes les choses, ou presque.
— Comme une voiture en bus, dit Quentin.
— Ou la grammaire en grand-mère, sourit sa Maman.
— On peut aussi faire apparaître des histoires tout seul dans sa tête, continua Ornicar.
— Sans Maman ni Papa ? demanda Quentin.
— Sans Maman ni Papa, et même sans livre ni papier ni stylo ni ordinateur. On peut même, si on est très chanceux, arrêter une guerre. Et aussi… mais tu es encore trop petit pour que ça t’intéresse, dit le prince.
— Dis quand même, protesta Quentin, je suis grand !
— On peut aussi séduire les filles[4], avec la magie des mots. »

Mais en effet, Quentin était encore trop petit pour s’intéresser à la séduction. N’empêche qu’il était drôlement fier d’avoir résolu les sept énigmes, trouvé Ornicar et commencé à apprendre la magie des mots. Maintenant qu’il l’a découvert, le prince Ornicar revient souvent le voir depuis son Royaume Secret de Grammaire et lui enseigner d’autres sortilèges de la magie des mots.
Parfois aussi ils se contentent de rire et de jouer ensemble. Ornicar l’avait oublié dans sa liste, mais la magie des mots, c’est aussi pour faire des blagues !



[1] Ce qui donnerait un sens nouveau et fascinant à l’expression « tomber de Charybde en Scylla »… je veux dire « tomber de Charybde en Syllabe »
[2] Quentin le Petit Magicien n’en connaissait pas assez pour utiliser son extraterrestre. Et n’oubliez pas que sa Maman et lui sont en train de parler, alors que vous lisez un texte écrit. On n’entend pas du tout la même chose en prononçant ET et en lisant ET (ou Hi-Ti). C’est encore une magie.
[3] Si vous ne savez pas ce dont il s’agit, lisez « Quentin le Petit Magicien et le Caca de Chimère ». Quand je l'aurai posté.
[4] Ou les garçons, à vrai dire.

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